Quelques réflexions sur le rituel chrétien
Les rituels ont un caractère d’universalité; ils se situent au centre de la vie humaine; ils expriment la façon de comprendre et d’interpréter des vérités qui dépassent normalement la connaissance directe. Ils sont composés d’actions enchaînées qui se répètent selon des règles qui, elles, ne changent pas. Les rituels correspondent ou s’enracinent dans la propension de l’homme pour les symboles (Homo symbolicus).
En partant de par la description extérieure, les rituels sont:
- des manières de faire, ou de vivre, structurés et organisés;
- des pratiques symboliques, répétées, soulignant une croyance ou un événement;
- des techniques d’approche ou des gestes soulignant l’appartenance des membres d’une communauté;
- des actions symboliques pour accéder à un autre niveau de l’être, pour faire le lien entre deux conditions de l’être, qui sont différentes... Les caractéristiques des rituels peuvent être par exemple: souligner une croyance ou un événement, ouvrir un mystère, transmettre du pouvoir ou du savoir ou des valeurs, réaliser l’aspect ordonnant (sécurisant) qui évite l’ambiguïté.
Les contenus des rituels sont: les gestes, les paroles, les scènes, des objets. Le rituel raconte et, en racontant, on arrive à ce qu’on change l’identité du sujet. Durant les années ‘60, sur le plan des cultures et de la société, les rituels de toutes sortes ont été mises en question par un puissant préjugé contre les rituels. On ne s’est pas alors rendu compte qu’on ne peut point vivre sans rituels. En fait, ils font partie de l’identité propre, de la tradition, de la culture primaire de chaque personne. Éliminer les rituels cela revient en fin de compte au fait de perdre son identité, son lieu. Les rituels imprégnés dans la culture, dans la tradition, sont partis prenantes de l’aménagement du Dasein humain. En les éliminant, le lieu propre de l’enracinement de l’homme est altéré ou détruit.
Le baptême - rite de passage.
Le baptême est un important rite de passage. Aujourd’hui, les parents font baptiser leurs enfants pour des raisons différentes: «... c’est nos parents qui y tiennent...» ou bien: «... pour ne pas compromettre pour l’enfant la fréquentation des écoles catholiques... » Dans le baptême, il advient à l’enfant la reconnaissance familiale; l’une des fonctions du baptême dans la tradition judéo-chrétienne est celle d’insérer l’enfant dans son milieu de vie. Quand l’enfant est né, au lieu du binôme père mère apparaît la triade père mère enfant. Le baptême marque et valorise cette nouvelle relation.
La tradition vivante ajoute au baptême de nouvelles pratiques rituelles: la coupe du cordon ombilical par le père, le symbolisme étant l’apparition de la triade par le père; l’enterrement de la placente et le geste de planter dessus un arbre, le symbolisme étant la nouvelle vie qui surgit lors de la naissance.
L’initiation chrétienne
On devient couple en s’unissant homme et femme. On commence alors un cheminement ensemble; on fait son apprentissage pour accéder à une dynamique de vie différente, à un savoir y relatif, en aboutissant à l’acquisition d’une série de compétences nouvelles. Au début de son cycle de vie, l’enfant doit être intégré dans son lieu, dans son groupe. L’enfant qui n’a pas été baptisé est un être auquel il manque quelque chose. Il n’a pas son lieu d’agrégation, son Dasein, dans son milieu de vie. Culturellement, il est en état de séparation. Pour la société il n’est pas né. Il demeure dans une situation d’étrangeté et d’agrégation sociétale non-accomplie car le baptême en tant que signe socialement reconnaissable d’assimilation par le milieu sociétal n’a pas été accompli par l’inscription sur son corps.
L’initiation chrétienne on la connaît mieux en étudiant les pratiques des premières communautés chrétiennes. Il y a eu des rites obligés de passage qui conduisaient le néophyte à occuper sa nouvelle place.
L’«individu» est une notion moderne. L’individu dans les sociétés des premières communautés chrétiennes n’avait point de prise sur le développement des rites. Cela aussi parce que les rites appartiennent toujours au groupe et c’est par le groupe qu’ils ont été agrégés à la tradition, à la culture auxquelles ils sont censés d’appartenir.
Les rites d’initiation, sans distinction, marquent le corps d’un signe. Tous les rites sont des rites du corps.
Les rites attachés aux sept sacrements de l’Église sont tous eux aussi des rites du corps. Lors du baptême oriental, l’enfant est plongé dans l’eau. La corporéité est là dans sa plénitude. Le baptême occidental réduit la corporéité - quelques gouttes d’eau suffisent... Cela altère le symbolisme de l’immersion qui figure l’immersion du corps entier dans la condition mortelle.
Les rites d’initiation représentent la différence entre la vie possible (par exemple l’occupation d’une place sociale reconnue et inscrite sur le corps), et la mort (figurée par l’absence de signes socialement reconnaissables). Le baptême dit: «l’enfant est né ou l’enfant est désormais de notre groupe, du groupe des chrétiens». A sa reconnaissance sociale seulement peut advenir notre identité. Et c’est le rite qui la définit cette identité.
L’enjeu de tout rite est en fait de dire l’identité, de structurer l’appartenance. L’initiation par le rite est d’écrire sur le corps (par des tatouages, par la circoncision chez les juifs, par la remise de vêtements blancs lors du baptême) et c’est cette écriture sur le corps qui permet à l’initié de faire corps commun avec le groupe. Ici, par le corps nous comprenons le corps animé, soit l’union du corps et de l’esprit. Le rite affirme que le corps a une âme qui est inscrite dans le corps. Lors du baptême, le signe rituel sur le corps est toujours indélébile. Il affirme pour toujours l’appartenance de l’initié à la chrétienté. Le suicide est l’aboutissement tragique du constat de non-reconnaissance du sujet. Il constate qu’il n’a pas d’identité. Baptiser c’est donner un nom, c’est donner une identité.
Problèmes d’ensemble sur l’initiation religieuse.
L’initiation est un passage rituel de l’initié à un nouveau statut attribué à lui. Eliade a affirmé que l’initiation est l’un des phénomènes spirituels les plus significatifs de l’histoire de l’homme car elle engage la vie totale de l’être humain de l’initié ainsi que le groupe humain au milieu duquel il vit. L’initiation a un rôle capital dans la formation religieuse de l’être humain et constitue le moyen pour lui de réaliser son achèvement spirituel.
«Le plus spirituel n’existe que dans le plus corporel» - et ceci trouve son fondement dans le mystère de l’Incarnation. «Le dualisme est la perversité de la dualité». A y réfléchir... Dans toutes les religions, l’initiation est importante. Ceci explique la grande continuité des rituels d’initiation dans les sociétés laïcisés d’aujourd’hui car l’être areligieux descend de «l’homo religiosus» et il demeure en partie au moins constitué des parties de ses ancêtres. (Ceci peut être inscrit sur l’inconscient humain, mais il est toujours là). Le bricolage des rituels que l’homme d’aujourd’hui va faire provient en fin de compte de cet héritage qui lui a été transmis par «l’homo religiosus».
Aucun espace rituel n’existe où l’on ne retrouve pas quelque part l’espace sacré. Il y a à date 3500 définitions du sacré. Pour la définition du sacré, Rudolf Otto a trouvé l’expression de «numineux» qui inclut un sentiment de transcendance. Le rite, lui, est l’accès à la transcendance, à cette réalité autre. Sacré et religieux sont des notions à ne pas confondre car il y a du sacré qui n’es pas religieux. Quand le vieux Forum de Montréal est «mort» le Centre Molson a été «sacralisé»; le symbolisme étant: le vieux Forum est mort, le nouveau Centre est advenu à la vie...
Dans le rite, l’on se raconte.
L’être humain est un «homo symbolicus» qui a le besoin naturel de rituels pour se construire. Et l’«homo symbolicus» est toujours un «homo religiosus». La superstition fait de l’être transcendant un objet - être qu’on peut manipuler. Le rituel veut, lui, que l’être soit lui-aussi sujet et non pas objet manipulable. La notion de distance est importante dans le rite.
Texte sur le baptême chrétien - de Hyppolite
Au temps de la primitive Église, le catéchuménat (préparation au baptême) exigeait un rite de trois ans de séparation... Les femmes devaient prier à part, ce qui reflétait les habitudes sociologiques de l’époque. Le baiser de paix n’était pas bienvenu car le baiser était considéré comme une insanité... Les hommes ne devaient pas saluer les femmes en église... Se convertir alors à la foi chrétienne était dangereux; le baptême du sang était la mort du martyr. La vie des catéchumènes était soigneusement examinée; il fallait qu’ils se lavent le jeudi (pendant toute la période du catéchuménat on ne se lavait point...).
Quand le christianisme fut reconnu religion d’État, on baptisa les enfants. Le baptême était pratiqué une fois par an ( à Pâques).
- Tout rite d’initiation accorde une importance au récit des origines (dans le cas du baptême - la mort et la résurrection du Christ). Ce récit est reçu comme Parole de Dieu. Une Parole qui fait naître.
- Tout rite d’initiation réserve une place incontournable au corps. Dans le cas du baptême, l’immersion dans l’eau.
- La structure pascale est présente en toute démarche de foi. Le catéchumène sera plongé trois fois dans l’eau baptismale car le Christ est demeuré trois jours dans le tombeau.
- L’initiateur doit s’absenter pour laisser la place à l’autre. C’est le Christ qui est l’absent dans le cas du baptême.
Le rituel chrétien
Un rituel est donné toujours par une tradition instituée. Le changement de tout rituel se fait toujours très lentement. L’Occident a négligé la ritualité. La conséquence de cette négligence se ressent aujourd’hui au niveau du peuple des fidèles. Dans toute l’histoire des religions le cas de l’Église catholique latine - qui a changé tous les rituels en 15 ans - demeure unique. Mais de telles initiatives on les paye très, très cher. On paye maintenant le prix de ce changement: le prix à payer est la désertion des fidèles; après Vatican II les églises se vident; on a voulu la modernité, alors on a fait des changements drastiques inspirés par un préjugé puissant contre tout rituel, et qui ont eu un effet pervers. La situation continue; on n’entrevoit point une issue. Dans les Églises de l’Orient chrétien, on n’a pas fait de tels changements; ceci est une situation salutaire, issue de la conscience de l’enracinement dans les strates les plus de profondes de l’être des peuples qui reçoivent, assimilent et transmettent, de génération en génération, cet héritage qui constitue leur demeure, leur lieu d’inscription dans l’histoire et leur façon profonde et féconde de passer à travers les étapes de la vie, de la naissance à la mort, marquées par les rituels, qui les maintiennent en lien avec les ancêtres et les descendants, dans l’espérance de la continuité transcendante de leur être spirituel. . Le judaïsme, les musulmans, les Églises Orientales ont gardé leur ritualité.
Les rites de passage
Les rites d’initiation permettent le passage d’un seuil de sociabilité. Le rite est essentiellement langage. Il est aussi fait social. L’individu ne peut créer et ni changer le rite car il est toujours patrimoine commun du groupe humain.
Le monde s’adresse à l’homme par le rite. Tout rite contient une référence sacrée. Tout rite se réfère à un mythe. Le mythe est l’indicible de l’origine. Lors des grandes initiations on parle toujours des origines. Dans le rituel il est toujours question du problème d’altérité. Chaque rite se réfère à un effet de sacralité. Si on est critique à l’égard d’un rite cela traduit le fait qu’on n’est plus dedans dans le rite.
Il y a des rituels civils qui sont institués par les gouvernements (exemple le mariage civil).
La tendance autour des rituels est d’expliquer aux gens leurs significations. Mais cela tue le rituel. S’il y a à faire des exceptions, alors il faut le faire avant le début du rite à célébrer. En principe le rituel ne s’explique pas: il s’interprète. On l’accomplit, un point c’est tout. C’est à l’officiant que revient toujours le rôle de dire le récit mythique d’origine. Quand un rituel se situe seulement au niveau cognitif et pas au niveau affectif, cela provoque des drames. L’Église catholique latine est trop cognitive; ses rituels se situent au niveau cognitif. L’Église orthodoxe est affective. Ses rituels se situent au niveau affectif. Les peuples comprennent mieux leurs rites au niveau affectif ou le langage véhicule des symboles qui parlent à la sensibilité et conduisent à l’entendement métaphorique des réalités transcendantes.
Révérend Radu Roscanu
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