Dimanche de l’Aveugle-né
Tropaire ton 5
Fidèles, chantons et adorons le Verbe sans commencement comme le Père et l’Esprit, né de la Vierge pour notre salut, car Il a bien voulu dans sa chair monter sur la Croix pour y endurer la mort et relever les morts par Sa glorieuse résurrection.
Kondakion ton 4
Les yeux de mon âme étant aveugles, je viens à Toi, ô Christ, comme l’aveugle de naissance, et avec repentir je Te clame : Tu es la Lumière qui resplendit sur ceux qui sont dans les ténèbres.
Epître : Ac XVI, 16-34 et Evangile : Jn IX, 1-38
Homélie de Père Boris Bobrinskoy
Actes des apôtres, chapitre XVI, versets 16 à 34
Un jour que nous nous rendions au lieu de la prière, une jeune servante qui avait un esprit de divination est venue à notre rencontre - ses oracles procuraient de gros gains à ses maîtres. Elle nous talonnait, Paul et nous, en criant : "Ces hommes sont les serviteurs du Dieu Très-Haut ; ils vous annoncent la voie du salut." Et elle recommença pendant plusieurs jours.
Excédé, Paul finit par se retourner et dit à l’esprit : "Au nom de Jésus Christ, je te l’ordonne : Sors de cette femme !" Et, à l’instant même, l’esprit sortit. Ses maîtres, qui voyaient s’enfuir l’espoir de leurs gains, mirent alors la main sur Paul et Silas, et les traînèrent jusqu’à la place publique devant les magistrats.
Ils les présentèrent aux stratèges : "Ces hommes, dirent-ils, jettent le trouble dans notre ville : ils sont Juifs et prônent des règles de conduite qu’il ne nous est pas permis, à nous Romains, d’admettre ni de suivre." Et la foule se déchaîna contre eux ; les stratèges firent arracher leurs vêtements, donnèrent l’ordre de les battre de verges et, après les avoir roués de coups, ils les jetèrent en prison, en ordonnant au geôlier de les surveiller de près ; telle étant la consigne reçue, il les jeta dans le cachot le plus retiré et leur bloqua les pieds dans les ceps.
Aux environs de minuit, Paul et Silas, en prière, chantaient les louanges de Dieu, et les autres prisonniers les écoutaient. Tout d’un coup, il y eut un tremblement de terre si violent que les fondations du bâtiment en furent ébranlées. Toutes les portes s’ouvrirent à l’instant même, et les entraves de tous les prisonniers sautèrent.
Tiré de son sommeil, le geôlier vit les portes de la prison ouvertes ; pensant que les prisonniers s’étaient évadés, il saisit son épée et allait se supprimer. Mais Paul lui cria d’une voix forte : "Ne fais rien de funeste pour toi ; nous sommes tous là." Le geôlier demanda de la lumière, se précipita à l’intérieur et, tout tremblant, il se jeta aux pieds de Paul et de Silas. Puis, les ayant fait sortir, il leur dit : "Messieurs, que dois-je faire pour être sauvé ?" Ils lui répondirent : "Crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé, toi et ta maison." Ils annoncèrent alors la parole du Seigneur, à lui et à tous ceux qui vivaient dans sa demeure. À l’heure même, en pleine nuit, le geôlier les emmena pour laver leurs plaies ; puis, sans plus attendre, il reçut le baptême, lui et tous les siens. Il fit ensuite monter Paul et Silas chez lui, leur offrit un repas et se réjouit en famille d’avoir cru en Dieu.
Evangile de Saint Jean, chapitre IX, versets 1 à 38
En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance. Ses disciples lui posèrent cette question : "Rabbi, qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ?" Jésus répondit : "Ni lui, ni ses parents. Mais c’est pour que les oeuvres de Dieu se manifestent en lui ! Tant qu’il fait jour, il nous faut travailler aux oeuvres de celui qui m’a envoyé : la nuit vient où personne ne peut travailler ; aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde."
Ayant ainsi parlé, Jésus cracha à terre, fit de la boue avec la salive et l’appliqua sur les yeux de l’aveugle ; et il lui dit : "Va te laver à la piscine de Siloé" - ce qui signifie Envoyé. L’aveugle y alla, il se lava et, à son retour, il voyait. Les gens du voisinage et ceux qui auparavant avaient l’habitude de le voir - car c’était un mendiant - disaient : "N’est-ce pas celui qui était assis à mendier ?" Les uns disaient : "C’est bien lui !" D’autres disaient : "Mais non, c’est quelqu’un qui lui ressemble." Mais l’aveugle affirmait : "C’est bien moi." Ils lui dirent donc : "Et alors, tes yeux, comment se sont-ils ouverts ?" Il répondit : " L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, m’en a frotté les yeux et m’a dit : Va à Siloé et lave-toi. Alors moi, j’y suis allé, je me suis lavé et j’ai retrouvé la vue." Ils lui dirent : "Où est-il, celui-là ?" Il répondit : "Je n’en sais rien." On conduisit chez les Pharisiens celui qui avait été aveugle.
Or c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux. À leur tour, les Pharisiens lui demandèrent comment il avait recouvré la vue. Il leur répondit : "Il m’a appliqué de la boue sur les yeux, je me suis lavé, je vois." Parmi les Pharisiens, les uns disaient : "Cet individu n’observe pas le sabbat, il n’est donc pas de Dieu." Mais d’autres disaient : "Comment un homme pécheur aurait-il le pouvoir d’opérer de tels signes ?" Et c’était la division entre eux. Alors, ils s’adressèrent à nouveau à l’aveugle : "Et toi, que dis-tu de celui qui t’a ouvert les yeux ?" Il répondit : "C’est un prophète." Mais tant qu’ils n’eurent pas convoqué ses parents, les Juifs refusèrent de croire qu’il avait été aveugle et qu’il avait recouvré la vue.
Ils posèrent cette question aux parents : "Cet homme est-il bien votre fils dont vous prétendez qu’il est né aveugle ? Alors comment voit-il maintenant ?" Les parents leur répondirent : "Nous sommes certains que c’est bien notre fils et qu’il est né aveugle. Comment maintenant il voit, nous l’ignorons. Qui lui a ouvert les yeux ? Nous l’ignorons. Interrogez-le, il est assez grand, qu’il s’explique lui-même à son sujet !" Ses parents parlèrent ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs. Ceux-ci étaient déjà convenus d’exclure de la synagogue quiconque confesserait que Jésus est le Christ. Voilà pourquoi les parents dirent : "Il est assez grand, interrogez-le."
Une seconde fois, les Pharisiens appelèrent l’homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent : "Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur." Il leur répondit : "Je ne sais si c’est un pécheur ; je ne sais qu’une chose : j’étais aveugle et maintenant je vois." Ils lui dirent : "Que t’a-t-il fait ? Comment t’a-t-il ouvert les yeux ?" Il leur répondit : "Je vous l’ai déjà raconté, mais vous n’avez pas écouté ! Pourquoi voulez-vous l’entendre encore une fois ? N’auriez-vous pas le désir de devenir ses disciples vous aussi ?" Les Pharisiens se mirent alors à l’injurier et ils disaient : "C’est toi qui es son disciple ! Nous, nous sommes disciples de Moïse. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse tandis que celui-là, nous ne savons pas d’où il est !" L’homme leur répondit : "C’est bien là, en effet, l’étonnant : que vous ne sachiez pas d’où il est, alors qu’il m’a ouvert les yeux ! Dieu, nous le savons, n’exauce pas les pécheurs ; mais si un homme est pieux et fait sa volonté, Dieu l’exauce. Jamais on n’a entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux d’un aveugle de naissance. Si cet homme n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire." Ils ripostèrent : "Tu n’es que péché depuis ta naissance et tu viens nous faire la leçon !" ; et ils le jetèrent dehors.
Jésus apprit qu’ils l’avaient chassé. Il vint alors le trouver et lui dit : "Crois-tu, toi, au Fils de l’homme ?" Et lui de répondre : "Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ?" Jésus lui dit : "Eh bien ! Tu l’as vu, c’est celui qui te parle." L’homme dit : "Je crois, Seigneur" et il se prosterna devant lui.
Homélie de Père Boris Bobrinskoy, la Crypte, 1985
Le Christ est ressuscité !
C’est le dernier miracle évangélique dont nous sommes aujourd’hui les témoins par l’Evangile de Jean. « La lumière du Christ illumine le monde » proclamons-nous en Carême. Cette lumière du Christ révélée par la Résurrection illumine à posteriori toute la vie du Christ. L’évangile de Jean décrit sept "signes" ou miracles du Christ parce qu’ils sont des symboles du sens profond de la venue de Dieu sur la terre et dans le cœur humain. Dans le miracle de la guérison de l’aveugle-né se révèle la grandeur de Dieu, sa gloire et sa sagesse.
La cécité est symbolique du péché qui est avant tout un aveuglement. Le péché crée en nous comme un écran entre Dieu et nous, il crée en nous les ténèbres et une incapacité foncière de voir, à fortiori de communier à la vie divine. Nous ne voyons pas notre propre réalité, notre propre péché. Que l’aveugle soit né aveugle montre qu’il ne s’agit pas d’un aveuglement provisoire mais d’un état durable, ancien, et dont on ne peut espérer la fin, humainement parlant. Mais Jésus précise que cet aveuglement est « Pour que se manifeste la gloire de Dieu », car c’est dans la guérison de cet aveugle qu’il montre sa gloire et non dans les bien-portants qui l’entourent, non dans les pharisiens qui lui reprochent d’agir un jour de sabbat.
Et cette guérison corporelle de l’aveugle s’accompagne d’une transformation totale et de la conversion du cœur. Son cœur devient capable de voir Dieu. « Bienheureux les cœur purs, car ils verront Dieu », cette parole des béatitudes se réalise aujourd’hui devant nous, car l’aveugle confesse le Seigneur, proclame sa bonté devant tous ceux qui doutent de lui, il le reconnaît prophète et finalement « Fils de l’homme... ».
Il faut souligner aussi que pour retrouver la vision naturelle comme pour découvrir la vision de Dieu, il faut avoir conscience de sa cécité, se sentir comme l’aveugle-né dans des ténèbres profondes. Tant que nous sommes dans la pseudo lumière de notre existence quotidienne, un abîme nous sépare de Dieu, et nous ne pouvons pas le franchir, nous ne voulons pas le franchir. Car il n’y a pas de continuité naturelle entre la lumière normale et la lumière de Dieu. Il y a entre elles une frontière. Cette frontière est faite des ténèbres de notre péché, mais aussi des ténèbres - bonnes et bénéfiques, celles-là - de notre repentance. Le péché nous maintient dans la ténèbre vis-à-vis de Dieu et dans le sentiment fallacieux et illusoire que nous sommes dans le bien, dans la certitude, que nous n’avons besoin de rien d’autre que de notre propre lumière. L’homme se croit autosuffisant et chemine sur le chemin de la vie, ignorant qu’il marche en réalité comme un aveugle-né. Il faut donc d’abord atteindre cet abîme, ce fond de nous-mêmes qui nous révèle notre insuffisance. Et c’est une grâce de Dieu qu’au fond de cet abîme, fléchissant douloureusement la tête et les genoux, nous reconnaissions enfin que nous sommes au bout de nos capacités naturelles et que nous avons besoin de Dieu.
Par la grâce de Dieu, car la grâce agit en nous-mêmes à notre insu, l’homme connaît le sentiment douloureux d’être là, de piétiner, de stagner dans sa propre misère, dans sa maladie, dans son aveuglement et son ignorance. Alors il se retourne, il se relève, il se tourne vers la grâce de Dieu, il reconnaît son péché dans la confession, et il remonte vers Dieu et sa lumière. La lumière ne vient peut-être pas tout de suite, il peut connaître un certain temps de solitude et de souffrance, que Dieu lui réserve avant de l’inonder de lumière et de l’abreuver de l’eau de la vie.
Ainsi l’expérience des ténèbres devient pour le pécheur qui se convertit, se tourne vers Dieu et monte vers la lumière, une expérience nécessaire. C’est en fait l’expérience concrète de notre indignité d’homme, de notre incapacité foncière à nous tenir debout et à aimer, à agir dans la crainte de Dieu et à faire le bien. Heureusement Dieu ne nous garde pas longtemps dans cet état, car « Dieu est lumière et il n’y a en lui aucune ténèbre » dit saint Jean, et toute l’expérience de l’Eglise est une expérience de lumière : « Gloire à toi qui nous a montré la lumière », disons-nous à matines. La lumière du Christ recouvre et illumine le monde. Et l’Eglise nous offre à nous tous l’expérience vivante de cette lumière, lumière très réelle et en même temps sens intérieur d’évidence de Dieu, de certitude de sa présence et de son amour, de confiance dans la puissance de l’Esprit.
Peu à peu cette lumière grandit en nous par l’alternance des ténèbres et de la lumière, alternance sage et bonne qui est répétée à travers les différents cycles liturgiques, quotidiens et annuels. Nous entrons par les vêpres dans la nuit. Cette nuit est le temps du sommeil mais aussi le temps du repentir, et nous remontons avec les matines à la lumière en nous appuyant sur le Soleil de justice. Au cours du Carême et de la Semaine Sainte nous sommes plongés dans les semi ténèbres favorables au retour sur soi-même, au repentir, à la descente en soi et à la vision de l’état réel de notre cœur. À mesure que la Semaine Sainte s’avance, la lumière grandit et à Pâques la lumière du Christ illuminant toutes choses nous éblouit.
L’aveugle-né guéri sort des ténèbres et reçoit de Jésus la capacité de Le reconnaître, et de confesser à la face de ses ennemis qu’Il est le Fils de l’homme, c’est-à-dire le Messie et, dans la bouche de Jésus, le Fils de Dieu. De même lorsque la lumière du Fils de Dieu pénètre en nous, nous devenons capable de croître à travers le repentir dans la connaissance de Dieu, l’amour du prochain et la proclamation de la lumière du Christ dans le monde.
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